Contre la pédophilie, Latifa invente la prévention

Le Matin, 8 novembre 2005

Une militante propose de redéfinir la prise en charge du fléau des maltraitances sexuelles

« Pédophilie : prévenir pour protéger». C'est le titre d'un livre qui ne risque pas de passer inaperçu. L'ouvrage présente, en effet, sur la base de témoignages réels, de tranches de vie souvent faites de douleurs et de souffrances, une nouvelle manière d'aborder le sujet, pas toujours au goût de tous. Pourtant, qui ne manque pas de bon sens. Son auteur, Latifa Bennari qui est également fondatrice et présidente de « L'ange bleu », une association oeuvrant dans le domaine de la prévention de la maltraitance sexuelle sur les enfants, s'est fait sa propre idée à la lumière d'une longue expérience sur le terrain. « Et si on écoutait les pédophiles ? », vous dit-elle en vous regardant droit dans les yeux, consciente qu'elle vient de jeter un pavé dans la mare. Ses idées commencent par vous bousculer, puis peu à peu par vous intéresser.

Avouons qu'il n'est pas facile d'admettre d'emblée que pour protéger les enfants contre les abus sexuels, il faut donner la parole aux pédophiles. Latifa explique sa démarche : « Je propose d'opposer à la violence, une écoute empathique et attentive ». Autour d'elle, l'idée ne fait pas l'unanimité, mais elle réussit tout de même à l'imposer. Aujourd'hui Latifa Bennari se présente comme « une partenaire avisée et éclairée des institutions et des associations concernées par le problème». Elle peut se vanter de détenir non pas des diplômes, mais une expérience de trente ans, qui n'en vaut pas moins.

Sur le site internet de l'association, Latifa Bennari reçoit en permanence du courrier en réponse à son appel : «Vous avez été victimes d'agressions sexuelles au cours de votre enfance ? Vous éprouvez des attirances amoureuses ou sexuelles pour des enfants sans pouvoir en parler ? ». Combien de fois, des pédophiles ne sont pas passés à l'acte parce qu'ils ont pu parler, parce qu'ils ont été pris en charge, en amont. Latifa aurait souhaité trouvé une écoute attentive lorsqu'elle était petite fille.

Lorsqu'elle avait 6 ans, cette militante aujourd'hui a fait l'objet elle-même d'agressions sexuelles pendant 8 longues années. On pourrait croire facilement que cette petite fille d'alors, allait devenir une adulte recroquevillée sur elle-même, complètement hostile à son environnement qu'elle aurait eu bien raison de rejeter. Qui lui en aurait voulu ? Mais non, Latifa est bien plus forte que cela, et elle l'a prouvé. Elle s'est non seulement reconstruite, s'est mariée, a fondé une famille, mais elle est surtout parvenue à exorciser ses souffrances en aidant d'autres personnes.

D'abord des voisines ou des amies qui lui ont fait confiance. Latifa avait le don de repérer, dans son entourage, des jeunes filles qui avaient comme elle connu une expérience traumatisante et réussissait à les faire parler. Un premier pas vers une vie de militante qui allait prendre vie à travers «l'Ange bleu», l'association que Latifa a créée pour venir en aide aux victimes des maltraitances sexuelles.

C'est sur le terrain que Latifa qui n'a pourtant pas de formation académique appropriée, a forgé, non sans difficulté, une nouvelle approche de la prévention de la maltraitance sexuelle sur les enfants. Ses nombreux contacts avec les victimes lui ont appris qu'il y avait fort à faire dans le domaine de la prévention : « Améliorer la prévention des abus sexuels, c'est prévenir le premier passage à l'acte, car jusqu'à présent on a limité la prévention à celle de la récidive, explique-t-elle.

Or prévenir la récidive qu'est ce c'est ? Si on se limite à cette approche, cela revient à attendre que des pédophiles commettent des infractions sexuelles, à attendre que certaines seulement de ces infractions soient signalées à la police, de sorte à pouvoir procéder à l'arrestation puis à la condamnation des auteurs, qui pourra les obliger alors à suivre un traitement…Une réelle prévention doit aller bien au-delà. Il faut agir en amont et non en aval comme ». Sa démarche ne plaît pas à tous. C'est même la levée de boucliers lorsqu'elle propose de donner la parole aux pédophiles. «Les gens font la confusion entre pédophile et agresseur sexuel. Il faut commencer par lever cette confusion et le fait qu'il y ait des pédophiles abstinents, c'est à dire qui ne passent jamais à l'acte, devrait nous permettre, nous qui travaillons pour protéger les enfants, d'éviter que le mal ne soit fait.

Un pédophile pris en charge, c'est une ou des agressions sexuelles en moins ». C'est sur cet argumentaire que s'appuie Latifa Bennari. Complaisance ? Non. Recherche de solutions humaines et plus efficaces, écrit-elle dans la plaquette de son association.

«Pédophilie : prévenir pour protéger» de latifa Bennari, éditions du Rocher

Les objectifs de «l'Ange bleu»

L'Ange Bleu a pour but d'organiser une activité pour développer la prévention de la maltraitance sexuelle d'enfants et l'information concernant la pédophilie, en relation avec les institutions concernées (équipes spécialisées, scientifiques, Affaires sociales, Education nationale, Justice, etc.).

Pour apporter soutien et assistance, l'association doit offrir aux victimes un soutien adapté, chaleureux et vivant, permettant de limiter les conséquences de la maltraitance : la souffrance et les séquelles post-traumatiques ne doivent pas être considérées comme une fatalité. Les victimes qui le souhaitent peuvent faire l'objet d'une prise en charge par des équipes spécialisées médico-psychologiques partenaires de L'Ange Bleu.

Restituer, au sein de la famille, la capacité à échanger sur une situation difficile pour tous, aide à dépasser le malaise, la souffrance ou le traumatisme ; c'est également sortir chaque famille de sa solitude et l'aider à faire face, unie, aux difficultés liées aux tabous sociaux.

L'écoute et le soutien psychologique des personnes en prise avec des attirances pédophiliques a pour but d'aider celles-ci à dépasser leurs propres souffrances et à gérer au mieux ces attirances, sans passer à l'acte. L'association a pour mission de faire triompher la parole dans un monde où règne le silence.

© 2005, Le Matin, Imane Zerrai - 8 novembre 2005
Source